23.2.11

"127 heures" : l'anti "Into the Wild"

La lutte de l’homme seul face à la nature avait sa référence sur grand écran avec Into the wild, devenu un classique. 127 heures, qui sort cette semaine et s’inspire lui aussi d’une histoire vraie, ne joue pas dans la même catégorie.

Inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis en 1992, Into the wild retraçait avec un mélange d’emphase et de poésie l’épopée de Christopher McCandless, jeune diplômé lâchant famille et amis pour faire la route, sans laisser de traces. Le film de Sean Penn insistait sur la beauté des paysages, l’authenticité des rencontres et l'idéal du héros. L’issue fatale de l’aventure laissait le spectateur partagé entre la beauté de ce retour à la vie sauvage et l’égoïsme du héros, dépassé par les éléments.

127 heures appartient à un genre différent : loin de tout lyrisme, c'est un film à suspense. Il comporte de nombreux points communs avec Into the Wild, et en forme l’antithèse. Les ingrédients de départ sont pourtant les mêmes : un jeune homme têtu en quête d'aventure, qui fini par regretter de s’être coupé du monde.

Au départ il y a une histoire vraie, racontée par le principal intéressé dans un livre adapté scrupuleusement par Dany Boyle. Le 26 avril 2003 très précisément, Aron Ralston échappe à la ville pour une de ces virées qu’il apprécie en solo, musique dans les oreilles, à travers les paysages désertiques de l’Utah. Voiture puis vélo, course et escalade, il fonce, il est là pour se défouler. En descendant une faille, il prend appui sur un rocher qui cède. Dégringolade : le voilà au fond du canyon, le bras comprimé contre la paroi par ce sinistre bloc “qui était là, à attendre ce moment depuis des milliers d’années”.

Ralston se retrouve face à lui-même pendant cinq jours. A cours de liquide, il doit bien admettre que personne ne viendra le chercher : il n'a averti personne de sa destination. Il prend alors la décision la plus difficile de son existence, qui donne lieu à une scène gore hyperréaliste, déjà célèbre pour avoir fait tourner de l'oeil dans les salles de cinéma.





Danny Boyle, qui signe ici son retour après Slumdog millionnaire, reconnaît lui-même qu’il n’est pas un amoureux des grands espaces. Il a été attiré ici par le défi de cinéma qui s’offrait à lui : tenir en haleine le spectateur une heure durant (sur 1h30 de film) avec pour unique ressort dramatique le sort d’un homme coincé dans un canyon, soumis à la loi implacable de la pesanteur. L’intensité de la situation est d’autant plus grande que le seul enjeu est la vie, ou la mort.

L’acteur James Franco, nommé à l'oscar du meilleur acteur, porte le film avec énergie, et même avec un rien de "détachement" (si l'on peu dire) qui ne met jamais en danger la crédibilité de l'ensemble. Contre toute attente, le film est rythmé, trop peut être. La déception vient peut être de cette rapidité : par peur de lasser sans doute, le temps passe trop vite, et l’issue arrive trop tôt. D'autant que de grosses ficelles ont été utilisées en cours de route, et pas toujours avec finesse : le faux espoir, l'hallucination, le délire face caméscope. Étirer le temps aurait permis une meilleure identification au drame psychologique qui se joue : les heures passent, sans perspective de secours. Danny Boyle n'a pas su exploiter pleinement son concept, à la manière d’un Buried, thriller palpitant intégralement filmé... à l'intérieur du cercueil d'un homme enterré vivant en Irak.

Un combat primitif fascinant

Le parallèle avec Into the wild est révélateur dans ces scènes où le héros regrette la civilisation. Dans 127 heures, ces moments sont matérialisés à l'écran : des images mentales, comme cette fête à laquelle il est invité et où la bière coule à flots, ou des images réelles, celles enregistrées dans son caméscope. Dans Into the wild, les regrets de Christopher McCandless sont la direction et l'aboutissement du film, où l'anti-héros réalise que son choix n'était pas le bon.

La nature, décor majestueux ou hostile, et aussi ce qui sépare les deux œuvres. Into the Wild et 127 heures tirent tous deux leur puissance du face-à-face de l’homme seul contre les éléments, duel qui devient un combat. Dans Into the Wild la nature est un personnage, elle est célébrée par chaque image du film, cours d'eau, montagnes, vie sauvage. Dans 127 heures, c'est la performance du héros qui est centre. La nature n'en est pas moins présente, parfois amie : un aigle qui survole le canyon, le rayon de soleil qui atteint le héros chaque matin. La plupart du temps, dame nature se résume surtout au méchant caillou, son meilleur rôle.

Dans des styles bien différents, Into the wild et 127 heures retracent deux destins hors du commun. Christopher McCandless et Aron Ralston incarnent un combat primitif fascinant pour notre époque, à la différence majeure qu'il est recherché par le premier et subi par le second. Leur lutte laisse au spectateur un goût de victoire pour l’un, un goût amer pour l’autre. Le héros et le anti-héros. L’Amérique « yes we can » et l’Amérique désenchantée. La « niaque » et le spleen. Deux visions qui s'opposent mais deux films qui vous remuent : Into the wild et 127 heures forment un diptyque puissant.

Article publié sur Le Courant

Photos promotionnelles des films 127 heures et Into the Wild

19.7.10

Tamara Drewe

Film britannique réalisé par Stephen Frears, avec Gemma Arterton, Roger Allam, Bill Camp... 1h49. Sortie le 14 juillet 2010.




Tamara Drewe était le vilain petit canard. Dans son village britannique charmant mais paumé, son nez proéminent lui menait la vie dure. Ça, c'était avant l'opération. Devenue journaliste culturelle pour The Independent, elle fait sensation alors qu'elle revient au bourg pointer le bout de son nouveau nez. Tournez manèges, Tamara va faire des siennes. Elle s'amuse à soulever une vague de désir parmi les écrivains névrosés qui séjournent au vert dans la maison d'hôtes voisine. Elle réveille les sentiments de son ami d'enfance, Andy, gentleman farmer de son état. Cerise sur le gâteau, elle s'amourache de Ben, batteur d'un groupe de rock à la mode, qu'elle allait interviewer lors d'un festival tout proche. Ce qui ne manque pas de mettre en émoi deux adolescentes désœuvrées, proches de l'évanouissement quand elle réalisent que leur idole Ben fréquente Tamara, sur leurs propres terres...

Tamara Drewe, c'est simple, est un bijou de comédie à l'anglaise. Les personnages sont délicieusement croqués, l'humour est servi bien noir, le rythme est enlevé... Tout y est, saupoudré du grain de folie à la Stephen Frears (Les Arnaqueurs, Les liaisons dangereuses, The Queen...). Le film est inspiré très directement d'une bande dessinée à succès de Posy Simmonds, qui ne manquait déjà pas de sel. Tout le défi était de retranscrire au cinéma ce portrait acide de la classe british CSP+, et ses affres sentimentaux sur fond de campagne riante. Stephen Frears passe du papier à l'écran avec brio. La galerie de portraits des écrivains quinquagénaires est savoureuse. Ils font leur miel des disputes du couple propriétaire de la maison d'hôtes, au grand désespoir de la maîtresse de maison, en pleine crise de nerfs. Tamara est campée avec fraicheur par Gemma Arterton, une découverte à suivre. Les personnages masculins ont moins de relief : le rocker-trash-je-m'en-foutiste (Dominic Cooper) et le bûcheron-au-coeur-tendre (Luke Evans) assurent le service minimum. La vraie bonne trouvaille est de faire des deux adolescentes en fleur des observatrices privilégiées. D'abord au second plan, elles prennent une importance croissante dans le récit avant d'en distribuer les cartes, dans des rebondissements finaux finalement pas si attendus. Mention spéciale à Jody (Jessica Barden), que l'on adore détester et qui mérite une nomination au Bafta de l'accent british le plus insupportable !

Un vaudeville moderne, divertissant à souhait, peut être LE film à avoir vu cet été.

11.5.10

La tête en friche

Film français réalisé par Jean Becker, avec Gérard Depardieu, Gisèle Casadesus, Maurane... Adapté d'un roman de Marie-Sabine Rocher. Sortie le 2 juin 2010.


Dans un petit village français - comme on en fait plus - vit Germain, un simplet, quasi analphabète, à qui la vie n'a pas vraiment fait de cadeau. Traumatisé par une enfance sans père, par une mère cassante, sa tête est restée "en friche". Il bosse à l'usine, vit dans une caravane, compte les pigeons et leur donne des noms. L'air de rien, une rencontre va changer peu à peu son existence. Il se lie d'amitié avec Margueritte ("avec deux t"), une très vieille dame qui compte les pigeons elle aussi. Elle dévore les livres, et entreprend de partager son goût de la lecture avec Germain.

Jean Becker fait des films humains, simples, roots. Alors qu'il vient présenter son film en avant-première, avec son producteur de fils, il reste fidèle à cette image : "Ce film, on l'aime bien", déclare-t-il sobrement. "La tête en friche" est à classer aux côtés des "Enfants du marais" et de "Dialogue avec mon jardinier" : des films casse-gueule parce que leur thème central est la gentillesse, la beauté et la simplicité des échanges humains. Le risque de tomber dans le niais est grand... et il est encore une fois évité. A part quelques lourdeurs (le bistro d'Épinal, la fin inutilement rocambolesque), l'humour des dialogues et l'interprétation rendent cette histoire attachante. Depardieu est formidable de mesure, de justesse, et Gisèle Casadesus apporte une fraicheur enfantine touchante ("c'est une dame fragile... de 96 ans", commente le réalisateur). Les plus belles scènes sont celles qui se concentrent sur le thème de la lecture, et la relation qu'elle établit entre les mots et les choses. Margueritte connaît les mots, aime leur musique, et Germain a une grande puissance d'écoute et d'imagination. Avec l'histoire de Germain, le film raconte un déclic magique, qui normalement se fait à l'enfance. C'est simple, c'est un beau moment.

8.5.09

Camino

Film espagnol réalisé par Javier Fesser, avec Nerea Camacho, Carme Elias, Mariano Venancio... 2h 23. Sortie française indéterminée.Goya du meilleur film et du meilleur réalisateur (César espagnols), en plus de 4 autres récompenses, Camino fut un évènement cinématographique de l’autre côté des Pyrénées, avant d’aller conquérir les écrans du monde. Beaucoup veulent lui affubler l’étiquette de film « controversé », un étendard pas toujours justifié mais qui peut rapporter gros. Chacun jugera.

Camino est une fillette aux yeux clairs rayonnants, élevée par ses parents dans les principes catholiques stricts de l’Opus Dei. Camino va chaque mercredi à l'atelier de cuisine catho, mais préférerait rejoindre ses amis au cours de théâtre. Cela surtout depuis qu’elle est tombée amoureuse de Jésus, le fils de la pâtissière (un prénom courant en Espagne). Alors que le thème de la pièce de fin d’année doit être déterminé, Camino tombe gravement malade. Un cancer est diagnostiqué, les premières tentatives de guérison échouent. L’atelier théâtre choisit de jouer Cendrillon, Camino voit son audition et son prince charmant s’estomper. Les traitements s’alourdissent, elle est transférée dans un hôpital géré par l'organisation catholique.

La foi solide de la petite fille -et quelques malentendus- enthousiasment les prêtres. Ils persuadent la mère que la maladie de sa fille est une chance, qui va faire d’elle une sainte. La grande sœur de Camino, célibataire consacrée par l'Opus, oscille entre indifférence et émerveillement pour son courage. Le père est beaucoup plus réservé, et voudrait simplement se préoccuper de soulager sa fille, l’entourer d’amour et l’accompagner le plus humainement possible. Camino s’évade dans des rêves fantastiques et caresse des espoirs, nourris des potins de l’école et du club théâtre apportés par sa meilleure amie. Chacun tente de faire face au drame à sa manière, ce qui est parfois dur à accepter.

Il y a certes l’ombre de l’Opus Dei, de la religion fondamentaliste, qui déteint sur la mère et la sœur de Camino, faisant d’elles des personnages souvent choquants, durs face à la maladie de la fillette, excessifs quand ils l’encouragent à être infaillible dans l’épreuve. Le film est inspiré de l’histoire d’Alexia Gonzalez-Barros, à qui le film est dédié. Cette espagnole décédée à l'âge de 14 ans en 1985 pourrait être béatifiée. Sa famille est cependant opposée à tout parallèle et considère le film comme une fiction. On peut le comprendre…

Reste que le film ne se résume pas à des ingrédients polémiques, loin s’en faut. Camino est une œuvre lumineuse grâce à son personnage central, interprété avec une candeur et une force incroyables par Nerea Camacho. Les rêves et cauchemars de la fillette sont les moments de respiration du film, dans lesquels se mêlent dessins animés, effets spéciaux inattendus, scènes inspirées d’une réalité tendrement mélangée et distordue. Ces passages très réussis et astucieusement imbriqués font passer les presque 2h30 de film dans un souffle. Le scénario en forme de montagnes russes (vertigineuses) n’épargne aucune émotion au spectateur. Un tournant violent de l'histoire, alors que Camino est sur le point de mourir, est particulièrement cruel, peut-être superflu.

Bien sûr, le film se veut une critique des excès de la religion. Les hommes en soutane noire sont ici des personnages froids et peu compatissants, obsédés par l’idée de faire de la malade une sainte. Ce parti pris peut agacer. Mais au-delà de ce réquisitoire, et plutôt qu’un récit à valeur documentaire, Camino est un film très subjectif et à prendre comme tel, une réflexion sur la souffrance et l’espérance possible face à la maladie, et surtout un hymne à l’esprit d’enfance.

5.4.09

Séraphine à l'heure d'été

L'expatrié que je suis a pu rattraper un peu de retard cinématographique grâce au Festival du film français, de passage à Adélaïde, qui s'est achevé hier. Les Australiens comme les francophones se sont chargés de bonder les salles à chaque séance. Il faut dire que la sélection était remarquable, les meilleurs films français de l'année passée. J'ai pu voir deux films qui entrent en raisonnance. Il est question d'art.

La peinture est le sujet central de Séraphine, qui décrit le parcours de la peintre Séraphine Louis, connue comme "Séraphine de Senlis". Vous en avez surement entendu parler, le film a fait une moisson aux César, à l'image de l'Esquive ou de De battre mon coeur... les années passées. Quand les membres de l'Académie aiment un film, ils votent pour lui dans toutes les catégories, ce que certains déplorent.

Dans le cas de Séraphine, c'est tant mieux, parce que c'est un film remarquable. D'abord, l'histoire vraie jusqu'ici trop condifentielle de cette miséreuse devenant peintre reconnue méritait d'être sublimée à l'écran. Martin Provost s'en charge avec une grande sobriété, teintée de pudeur bienveillante et d'humour. Séraphine est un personnage fragile, une femme de ménage énigmatique, qui fait des calins aux arbres et parle aux oiseaux. Elle reçoit un jour l'ordre célèste de peindre, et s'exécute, frénétiquement, avec les moyens du bord. Les anges guident son pinceau, dit-elle. Un critique d'art allemand repère son travail avant-gardiste, et lui fait promettre de perséverer, avant d'être happé par la Première guerre mondiale.

Séraphine est clairement dérangée, mais le malaise ne s'installe jamais, on est absorbé par l'interprétation rayonnante et poétique de Yolande Moreau. Ses mimiques sont impayables, comme lorsqu'elle prélève un peu de cire sous les yeux d'une statue la Vierge pour faire ses mélanges. Gloussement dans la salle. Le schéma narratif est classique, mais l'histoire est trop belle pour qu'on se lasse.

Changement d'époque pour l'Heure d'été, film bien ancré dans notre époque. L'art est ici le signe du passé, de l'héritage. Du mobilier prisé, des vases, deux toiles de Corot, les carnets de Paul Berthier... C'est le trésor familial sur lequel veille Hélène (Edith Scob, délicieuse), une vieille dame bien seule entre ces souvenirs. A l'occasion de ses 75 ans, les enfants sont venus au complet, chose rare. Les heures d'été passées ensemble sont précieuses. Adrienne (Juliette Binoche) est une artiste vivant à New York, Jérémie (Rénier) dessine des baskets à Shanghai. Frédéric (Charles Berling) est le seul à être resté à Paris, où il enseigne l'économie. Une certaine classe sociale, bien sûr.

Que va t-il arriver à la maison et ses objets après la mort d'Hélène ? C'est tout l'enjeu du film, ce qui peut sembler barbant, a priori. Les inventaires et conversations à propos de telle tasse ou tel dessin peuvent paraître lassants, mais se révèlent décisifs par la suite. Chacun défend ses intérêts. C'est finalement Héloïse, la gouvernante, qui offre le moment le plus savoureux du film. Elle demande à garder ce qu'elle pense être un modeste vase, en souvenir d'Hélène. Elle le trouve beau quand on met des fleurs dedans, c'est un peu une Séraphine elle aussi. Je ne dois pas tout dévoiler, mais cette scène est un bijou.

Deux films à voir, pleins de finesse et de nuance, qui forment un écho intéressant et qui confirment, surtout vu d'ici, que le cinéma français est un monde à part.

25.2.09

Revolutionary Road (les Noces rebelles)

Film britannique, américain réalisé par Sam Mendes, avec Kate Winslet, Leonardo DiCaprio... 2h 05. Sortie le 21 janvier 2009.

Nostalgiques de Titanic, vous allez assister à un autre genre de naufrage. Si Kate et Leo se retrouvent à l'écran, ce n'est pas pour s'aimer entre deux icebergs, mais pour se détester, ouvertement. Enfin, au début, le couple qu'ils incarnent (April et Frank Wheeler) ne fait presque pas une vague dans la banlieue proprette où ils emménagent, sur Revolutionary Road, dans l'Amérique des fifties. "Route révolutionnaire", ça tombe bien, les tourtereaux ne veulent surtout pas fonder un foyer convenu, ennuyeux. Mais aussi, comme le suggère finement une lectrice assidue de ce blog, "Route qui tourne en rond". Cette hypothèse se révèle la plus probable...

Deux enfants plus tard (des absents tout au long du film), Frank s'ennuie dans son job alimentaire, April veut changer d'air. Tempête dans un verre d'eau, ils décident de partir vivre à Paris, où ils plus seraient heureux, c'est sûr. Le départ est planifié. Mais la flamme des premiers jours s'est rabougrie, la monotonie s'est installée. Elle ne peut le supporter. Lui se contenterait bien de sa vie tranquillement médiocre, surtout qu'une promotion pointe à l'horizon, "il faut y réfléchir sérieusement".

Un engrenage implacable d'incompréhension s'enclenche, c'est la guerre froide. Glaciale, comme ce thème de piano obsédant qui vient ponctuer les crises ouvertes comme les concessions douloureuses. Le petit déjeuner "parfait" préparé par April est un sommet de tension, bouillonnante mais maîtrisée. A l'image de cette scène mémorable, le jeu de Winslet est tout en regards brûlants sous un masque de sérénité mal feinte. DiCaprio - qui semble abonne aux rôles "vintage" - s'en tire bien, portée par des seconds rôles brillants - le couple d'amis rangés, le mathématicien dérangé, as de la provoc. Tous essaient de deviner le drame qui se joue, de plus en plus explicite. L'issue est dramatique, le malaise habite le spectateur de ce jeu de massacre, froidement exécuté, magistralement orchestré.

29.1.09

L'Etrange histoire de Benjamin Button

Film américain réalisé par David Fincher, avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Julia Ormond... 2h35. Sortie le 04 Février 2009.

Dans la Nouvelle Orléans du début XXème vit un homme singulier, nommé Benjamin Button. Né ridé comme une pomme, il est considéré comme un vieux parmi les autres pensionnaires de la maison de retraite dirigée par sa mère d'adoption, une pieuse femme noire. Benjamin a entamé une vie à rebours, qui va le voir rajeunir quand les autres vieillissent. Dans une chambre d'hôpital, alors que l'ouragan Katrina menace de frapper, une vieille dame se souvient de Benjamin, l'homme qui a traversé sa vie.

Un bébé qui naît vieux et rajeunit au cours de sa vie... Ça ressemble à une bonne idée sur le papier, mais encore faut-il tenir la longueur (l'histoire originale est une nouvelle de F. Scott Fitzgerald). La force de ce film est de parfaitement exploiter cette idée et de l'assumer jusqu'au bout. Chaque stade de la vie de Benjamin est marqué de comique et de tragique, particulièrement son enfance emprisonnée dans un corps de vieillard. L'un s'apitoie sur son sort en apprenant qu'il est "encore" vierge, l'autre le tient pour pervers quand il joue avec sa fille...

Des prouesses cosmétiques permettent à Brad Pitt et Cate Blanchett d'être crédibles dans chaque tranche d'âge. Cela n'enlève aucun mérite à l'épatant jeu de Brad, qui réussit à adopter la silhouette d'un vieil homme comme d'un adolescent. Dans chacun de ses gestes s'imprime le malaise de celui qui n'est pas tombé dans le bon corps. L'oscar ne serait pas de trop. On a plaisir à retrouver le duo Blanchett/Pitt après Babel. Ils forment un couple plus touchant dans la tourmente que dans l'idylle, très stéréotypée. Un rare coup de mou, si on considère la longueur du film. Plus qu'un récit fantastique centré sur une bête curieuse, L'étrange histoire de Benjamin Button est une fable lumineuse qui offre une réflexion humble et finalement profonde sur l'amour empêtré dans la fuite du temps.