La lutte de l’homme seul face à la nature avait sa référence sur grand écran avec Into the wild, devenu un classique. 127 heures, qui sort cette semaine et s’inspire lui aussi d’une histoire vraie, ne joue pas dans la même catégorie.
Inspiré d’un fait divers survenu aux Etats-Unis en 1992, Into the wild retraçait avec un mélange d’emphase et de poésie l’épopée de Christopher McCandless, jeune diplômé lâchant famille et amis pour faire la route, sans laisser de traces. Le film de Sean Penn insistait sur la beauté des paysages, l’authenticité des rencontres et l'idéal du héros. L’issue fatale de l’aventure laissait le spectateur partagé entre la beauté de ce retour à la vie sauvage et l’égoïsme du héros, dépassé par les éléments.
127 heures appartient à un genre différent : loin de tout lyrisme, c'est un film à suspense. Il comporte de nombreux points communs avec Into the Wild, et en forme l’antithèse. Les ingrédients de départ sont pourtant les mêmes : un jeune homme têtu en quête d'aventure, qui fini par regretter de s’être coupé du monde.
Au départ il y a une histoire vraie, racontée par le principal intéressé dans un livre adapté scrupuleusement par Dany Boyle. Le 26 avril 2003 très précisément, Aron Ralston échappe à la ville pour une de ces virées qu’il apprécie en solo, musique dans les oreilles, à travers les paysages désertiques de l’Utah. Voiture puis vélo, course et escalade, il fonce, il est là pour se défouler. En descendant une faille, il prend appui sur un rocher qui cède. Dégringolade : le voilà au fond du canyon, le bras comprimé contre la paroi par ce sinistre bloc “qui était là, à attendre ce moment depuis des milliers d’années”.
Ralston se retrouve face à lui-même pendant cinq jours. A cours de liquide, il doit bien admettre que personne ne viendra le chercher : il n'a averti personne de sa destination. Il prend alors la décision la plus difficile de son existence, qui donne lieu à une scène gore hyperréaliste, déjà célèbre pour avoir fait tourner de l'oeil dans les salles de cinéma.
Danny Boyle, qui signe ici son retour après Slumdog millionnaire, reconnaît lui-même qu’il n’est pas un amoureux des grands espaces. Il a été attiré ici par le défi de cinéma qui s’offrait à lui : tenir en haleine le spectateur une heure durant (sur 1h30 de film) avec pour unique ressort dramatique le sort d’un homme coincé dans un canyon, soumis à la loi implacable de la pesanteur. L’intensité de la situation est d’autant plus grande que le seul enjeu est la vie, ou la mort.
L’acteur James Franco, nommé à l'oscar du meilleur acteur, porte le film avec énergie, et même avec un rien de "détachement" (si l'on peu dire) qui ne met jamais en danger la crédibilité de l'ensemble. Contre toute attente, le film est rythmé, trop peut être. La déception vient peut être de cette rapidité : par peur de lasser sans doute, le temps passe trop vite, et l’issue arrive trop tôt. D'autant que de grosses ficelles ont été utilisées en cours de route, et pas toujours avec finesse : le faux espoir, l'hallucination, le délire face caméscope. Étirer le temps aurait permis une meilleure identification au drame psychologique qui se joue : les heures passent, sans perspective de secours. Danny Boyle n'a pas su exploiter pleinement son concept, à la manière d’un Buried, thriller palpitant intégralement filmé... à l'intérieur du cercueil d'un homme enterré vivant en Irak.
Un combat primitif fascinant
Le parallèle avec Into the wild est révélateur dans ces scènes où le héros regrette la civilisation. Dans 127 heures, ces moments sont matérialisés à l'écran : des images mentales, comme cette fête à laquelle il est invité et où la bière coule à flots, ou des images réelles, celles enregistrées dans son caméscope. Dans Into the wild, les regrets de Christopher McCandless sont la direction et l'aboutissement du film, où l'anti-héros réalise que son choix n'était pas le bon.
La nature, décor majestueux ou hostile, et aussi ce qui sépare les deux œuvres. Into the Wild et 127 heures tirent tous deux leur puissance du face-à-face de l’homme seul contre les éléments, duel qui devient un combat. Dans Into the Wild la nature est un personnage, elle est célébrée par chaque image du film, cours d'eau, montagnes, vie sauvage. Dans 127 heures, c'est la performance du héros qui est centre. La nature n'en est pas moins présente, parfois amie : un aigle qui survole le canyon, le rayon de soleil qui atteint le héros chaque matin. La plupart du temps, dame nature se résume surtout au méchant caillou, son meilleur rôle.
Dans des styles bien différents, Into the wild et 127 heures retracent deux destins hors du commun. Christopher McCandless et Aron Ralston incarnent un combat primitif fascinant pour notre époque, à la différence majeure qu'il est recherché par le premier et subi par le second. Leur lutte laisse au spectateur un goût de victoire pour l’un, un goût amer pour l’autre. Le héros et le anti-héros. L’Amérique « yes we can » et l’Amérique désenchantée. La « niaque » et le spleen. Deux visions qui s'opposent mais deux films qui vous remuent : Into the wild et 127 heures forment un diptyque puissant.
Article publié sur Le Courant
Photos promotionnelles des films 127 heures et Into the Wild